Société des amis de Colette
"Ah ! si je pense à toi, c'en est fait de mon repos. Quelle heure vient de sonner ? J'entends bourdonner mon sang, ou bien c'est le murmure des jardins, là-bas... Tu dors ? non. Bientôt la barre lumineuse, entre les rideaux va s'aviver, rosir... Encore quelques minutes, et je pourrai lire sur ton beau front, sur ton menton délicat, sur ta bouche triste et tes paupières fermées, la volonté de paraître dormir... C'est l'heure où ma fatigue, mon insomnie énervées ne pourront plus se taire, où je jetterai mes bras hors de ce lit enfiévré, et mes talons méchants qui préparent leur ruade sournoise...
Alors tu feindras de t'éveiller ! Alors je pourrai me réfugier en toi, avec de confuses plaintes injustes, des soupirs excédés, des crispations qui maudiront le jour déjà venu, la nuit si longue à finir, le bruit de la rue... Car je sais bien qu'alors tu resserras ton étreinte, et que, si le bercement de tes bras ne suffit pas à me calmer, ton baiser se fera plus tenace, tes mains plus amoureuses, et que tu m'accorderas la volupté, penchée sur moi, comme un secours, comme l'exorcisme souverain qui chasse de moi les démons de la fièvre, de la colère, de l'inquiétude..." (Colette, "Nuit blanche", "Les Vrilles de la vigne", 1908)
Colette et Missy au Crotoy, vers 1907.