« Ô dernier feu de l’année ! Le dernier, le plus beau ! Ta pivoine rose, échevelée, emplit l’âtre d’une gerbe incessamment refleurie. Inclinons-nous vers lui, tendons-lui nos mains que sa lueur traverse et ensanglante… Il n’y a pas, dans notre jardin, une fleur plus belle que lui, un arbre plus compliqué, une herbe plus mobile, une liane aussi traîtresse, aussi impérieuse ! Restons ici, choyons ce dieu changeant qui fait danser un sourire en tes yeux mélancoliques… Tout à l’heure, quand je quitterai ma robe, tu me verras toute rose, comme une statue peinte. Je me tiendrai immobile devant lui, et sous la lueur haletante ma peau semblera s’animer, frémir et bouger comme aux heures où l’amour, d’une aile inévitable, s’abat sur moi… Restons ! Le dernier feu de l’année nous invite au silence, à la paresse, au tendre repos. J’écoute, la tête sur ta poitrine, palpiter le vent, les flammes et ton cœur, cependant qu’à la vitre noire toque incessamment une branche de pêcher rose, à demi effeuillée, épouvantée et défaite comme un oiseau sous l’orage… »
Colette — «LE DERNIER FEU », In Les Vrilles de la vigne(1908)